5 August 2006

Le croquis conceptualisé de Pivoines (1921)

Le croquis conceptualisé ou Xieyi 寫意, qui signifie « saisir l'idée et la transcrire », est la racine de la peinture lettrée chinoise.

Cette aquarelle, exécutée en 1921, est l'une de deux peintes (Pivoines et Saules ) par Sanyu dans le style traditionnel chinois qui ont survécu jusqu' aujourd'hui. Si on la juge du point de vue artistique occidental, on ne trouve ni perspective, ni nuance, ni proportionnalité, ni fond, ni arrangement de couleur authentique. Cependant, ce n'est pas une réflet fidèle de la fleur que Sanyu a cherché à donner mais l'expression des plaisirs sensuels que la fleur donne à ses spectateurs, c.-à-d. pour les Chinois, l'esprit incarné dans la fleur. Cette expression est réalisée par une main habile dans la pratique de la peinture traditionnelle à l’encre du croquis conceptualisé.

Le mouvement ascendant de la trace linéaire des tiges de deux côtés est modulé par un revirement régulier des coups de la pointe du pinceau. La densité variable qui résulte de l'encre suggère les volumes et les courbes des tiges. Alors que les tiges sombres au centre de l'aquarelle sont pleines d'énergie et sont saisies d'un désir fort de pousser. Cet effet provient des mouvements de rotation et de tournoiement de la pointe du pinceau ainsi que de la vitesse variable de son mouvement, une alternance rythmique entre pauses délibérées et mouvements brusques. Ces lignes droites des tiges se terminent au point où les contours de courbe de la fleur et des feuilles commencent.

Au ce point-là, les lignes fermes et sombres qui démontrent l'énergie masculine sont remplacées par les courbes fluides de rouge et de vert qui manifestent la douceur féminine. Sans observer les proportions réelles, les fleurs et les feuilles qui dominent la surface de peinture sont exceptionnellement larges par rapport aux tiges. Les couleurs brillantes du rouge et du vert et la composition triangulaire de la peinture exemplifient une célébration de la floraison, de la beauté de la pivoine. Les deux tiges en rouge peuvent sembler particulières et surréalistes. Visuellement, la couleur ainsi que le contour fluide et liquide de haut en bas donnent de l'indépendance à la fleur et au bourgeon tout en accentant la beauté d'un épanouissement débordant.
Cependant, la beauté des fleurs pour la peinture lettrée chinoise ne concerne pas la beauté elle-même mais celle du plaisir poétique abstrait qu'elle exhale. Si le portrait des tiges de Sanyu expriment la force (ou Jin劲), la fleur exhibe la tendresse (ou Rou 柔) par la simple technique de délayer la couleur de l'encre.
Le mouvement prompt, sans heurt, vers le bas du contour des tiges rouges (qui devraient être considérées comme une partie de la fleur) finit dans diminution de l'encre, effet normal d'un tel mouvement du pinceau. Le même traitement de délayage est appliqué aux pédales et aux feuilles en leur donnant une texture délicate et une telle transparence sensible que les pédales se dissolvent dans le fond d'or. Ces effets visuels sont suggestifs de leur fluidité et caractère éphémère. Bien qu'elle n'ait pas été prévue pour devenir un chef d'œuvre, cette aquarelle d'encre montre la maîtrise et la sensibilisaté de Sanyu à l'esprit de la peinture lettrée chinoise.